1816-2016 - Bicentenaire

Noël au Château

«  Nous serions très heureux si vous vouliez bien venir  passer la veillée de Noël avec nous et réveillonner au sortir de la messe de minuit. Nous serons entre amis et  pourrons causer de choses sérieuses. » Ainsi commence l’invitation fictive du directeur de l’École des Mines à ses professeurs en ce Noël 1920 imaginé par les élèves rédacteurs du troisième numéro de la toute jeune revue « Le Pic qui chante ».

Le Château de Chantegrillet, 1920 © Association ICM
Le Château de Chantegrillet, 1920 © Association ICM

Depuis le mois de mars 1920, les élèves de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne publiaient un journal dénommé « Le Pic qui chante » qui avait pris la suite, sous une forme plus moderne quant à la forme, du journal disparu avec la première Guerre mondiale « Le Marteau ». L’As du pic, Tintinet, Géo PP, Vaca ou encore Le vieil arabe tentaient de faire paraître régulièrement la revue naissante. Mais les grèves de mai 1920, au cours desquelles les élèves avaient été réquisitionnés pour conduire les locomotives, les stages d’été et la rentrée d’octobre les avaient « absorbés et le Pic en [avait] été un peu délaissé ».

Avec ce numéro trois, la verve des élèves étaient pourtant au rendez-vous. Voici, ci-après, des extraits du texte de Vacca « La Fête de Noël au Château »

Le Pic qui chante n° 3, décembre 1920 © Association ICM
Le Pic qui chante n° 3, décembre 1920 © Association ICM

Nous vous attendons à partir de 22 heures, et nous nous réjouissons à la pensée de vous avoir.

Veuillez… etc

L’ingénieur en chef des mines

Directeur de l’Ecole Nationale des Mines de Saint-Etienne

H. Chipart

P.S. Les portes seront fermées à 21h50. Se conformer à l’heure de l’Ecole.

Albert Henri Chipart, directeur (1919-29) - « Souvenir Revue 1920 » © Association ICM
Albert Henri Chipart, directeur (1919-29) – « Souvenir Revue 1920 » © Association ICM

Telle était l’invitation que reçurent dernièrement tous les professeurs de l’Ecole. Toutefois, pour quelques-uns, les mots « et cher camarade » étaient barrés d’un large trait de plume. Connaissant le caractère déréglé de l’horloge, bon nombre d’invités se présentèrent au Château non pas avant la fermeture des portes, mais avant leur ouverture. Ils durent attendre, les pieds dans la boue, que Chipart ait ajusté son vaste faux-col.

La porte s’ouvrit et la fête commença.

A 9h50, Philippe s’apprêtait à fermer lorsqu’il entendit au bas du grand plan un bruit de catastrophe : en même temps, arrivait au Château un bolide jaune, zigzaguant et pétaradant. Deux jeunes gens fort élégants sautèrent lestement à terre : l’un s’empressa d’offrir sa main aux dames pour les aider à descendre, tandis que l’autre considérait d’un œil satisfait son phare aplati et son aile fauchée.

Le concierge Philippe © Association ICM
Le concierge Philippe © Association ICM

Sans plus s’attarder à ces contingences, Perrin-Pelletier et Le Sueur pénétrèrent dans le salon déjà fort animé par la brillante conversation de Chipart et de Sautier, sans parler des autres. De danse, il ne pouvait être question, le parquet ayant été, au cours des siècles, soumis à de trop importants mouvements orogéniques.

Georges Perrin-Pelletier (mécanique)
Georges Perrin-Pelletier (mécanique)
Félix Sautier (chargé de cours, chimie)
Condamin (construction)
F. Condamin (construction)
André Demay (géologie)
Pierre Chevenard (métallurgie)
Pierre Chevenard (métallurgie)
Henri Le Sueur (exploitation)
Henri Le Sueur (exploitation)

Souvenir de la Revue 1920 © Association ICM

La soirée parut courte, car avant même d’en être prié, Perrin-Pelletier prit place au piano et entonna sur l’air connu :

« France, je crois en toi comme je crois en Dieu

De tout mon cœur fervent et de toute mon âme

Dans la paix… etc… »

« Alorss ! on y va ? » rugit Condamin qui venait de voir acceptée par Chipart sa dernière cigarette.

Obéissant à l’ordre, tout le monde se levait pour aller à la messe de minuit, quand Chipart intervint : « De mon temps, on n’emmenait pas les enfants à la messe de minuit : je crois que Demay ferait bien mieux de dormir un peu : nous le réveillerons en rentrant. » Comme c’est un petit garçon bien élevé, Demay obéit : il est vrai qu’il avait fort sommeil.

[…]

Mais pendant ce temps, un ange portait au ciel une ardente et directoriale prière.

« Seigneur, en ce jour de Noël faites descendre de votre ciel bleu vos bienfaits sur la Ville Noire…

Nettoyez- la, Seigneur !

« Comblez ma chère Ecole de vos dons et surtout soutenez-la dans sa vieillesse chancelante ! avant qu’elle tombe…

Retenez-la, Seigneur !

« Illuminez ses élèves de vos Lumières, car ils en ont tant besoin… Et s’ils ne comprennent pas les cours, qu’ils se rendent au moins compte de la valeur du mien…

Electrisez-les, Seigneur !

« Accordez aussi vos lumières à ma très chère Secrétaire, pour qu’elle continue à écrire mes lettres embarrassantes – et elles le sont toutes…

Inspirez-la, Seigneur !

« Ce soir, j’ai mis mes souliers dans la cheminée. Ils sont bien grands, plus longs que mon faux-cols n’est haut ! Mais plus grande encore est votre Bonté !

« Oh, mes souliers !…

Remplissez-les, Seigneur !

Tout à coup un violent coup de klaxon ramena Chipart aux choses d’ici-bas. Il n’eut que le temps de saisir son parapluie et de sauter dans l’auto.

[…] réveillé par l’auto, Demay arriva tout joyeux ; « Regardez ! Regardez ce que le petit Jésus m’a apporté ! » et sortant d’un grand sac des cailloux en chocolat aux formes bizarres, il énumérait : « 60 ! C’est un… un trachyte altéré avec soufre ! 14… 14… C’est une Cylotiles elliptica, à moins que ce ne soit une amphibolite avec pyroxène et idocrase… ah ! non c’est 114… je veux dire un granite à deux micas… Et celui-là, c’est 131… Ludwigia aalensis ; c’est que celui-là n’est pas cassé en trois morceaux… »

Ce fut aussitôt une ruée vers la pièce voisine, où étaient les souliers :

Demay – Regardez, M. Condamin, dans vos souliers ce joli jeu de construction ! Comme ça doit être amusant !

Condamin – Vraiment, il y a là de jolies petites poutres ! Il y a de quoi construire des bâtiments entiers !

Le Sueur – il vaut mieux que vous n’essayez pas de construire la nouvelle Ecole, car je n’aurai guère confiance.

[…] Perrin-Pelletier (à Chipart) mais qu’est-ce donc que ces instruments que vous avez là ? »

Chipart – Mais voyons ! ce sont deux normales d’Ampère, orientées chacune dans un sens différent. Les applications pratiques en sont d’une importance capitale ! Ainsi, le soir, en me déchaussant je n’aurai qu’à replacer chacune dans son soulier respectif et je ne risquerai plus de me tromper de pied le lendemain !

Perrin-Pelletier – C’est vraiment génial comme idée ! (à voix presque basse) ; il n’y qu’une chose qui m’étonne là-dedans : c’est que ce n’est pas moi qui l’ai trouvée !

Chevenard (timidement) – il me semble que depuis quelques instants, la température de la salle s’élève d’une façon continue et que le feu semble avoir dépassé l’allure optima requise pour un tel foyer.

Le Sueur – Ce ronflement est caractéristique d’un feu de cheminée.

Chipart (affolé) – Mon Dieu ! Le feu chez moi ! Au Château ! Sautier ! Vite un extincteur ! Il y en a 37 prévus par le règlement de 1816 !

Chevenard (très calme) – Un extincteur est inutile : vous avez dans votre cave de quoi étouffer les pires incendies, c’est…

Chipart – Dépêchez-vous ! Philippe ira le chercher !

Chevenard – Mais votre provision de…

Chipart – Dites ! Vite !

Chevenard – de charbon des Houillères !

pic qui chante

Fiche rédigée par Hervé Jacquemin (EMSE)

Références

La Fête de Noël au Château, Le Pic qui chante n° 3, pp. 16-20, 1920 © Association ICM

Texte complémentaire : Noël, Le Pic qui chante n° 11, pp. 5-6, 1924© Association ICM

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