Dans un mémoire du 26 janvier 1816, Louis-Antoine Beaunier expose sa vision d’une nouvelle école des Mines. La réponse du Conseil général des Mines intervient le 7 mars 1861.
L’objectif de Louis-Antoine Beaunier
Louis-Antoine Beaunier souhaite la création d’une école d’application des Mines. À la différence des élèves des écoles d’application des Ponts et Chaussées ou du Génie préparés à la gestion des constructions civiles et militaires, les ingénieurs du corps des Mines formés à Paris pour le compte de l’État sont des ingénieurs chargés de la conservation des mines et des usines alors que ces dernières sont exploitées par des particuliers, qui eux n’y sont pas particulièrement préparés.
Beaunier souhaite donc former les directeurs locaux dans une école ne nécessitant pas les connaissances enseignées à l’École polytechnique. L’ancien directeur de l’École pratique de la Sarre, s’appuie sur la distinction outre rhénane, entre l’école théorique, « bergakademie », et l’école pratique, « bergschule ».
Cette école d’application se destine aussi aux élèves ingénieurs hors concours, qui en plus de suivre une partie de ses cours, devraient parcourir les exploitations et les usines et exécuter des travaux sous la surveillance d’un professeur. Il est prévu qu’ils se forment à l’étude des lois et de l’administration des mines sous l’autorité du directeur et qu’ils secondent les professeurs dans leur enseignement ou dirigent des établissements particuliers.
Cette idée est reprise par le quatrième article de la proposition du Conseil général des Mines : « Les élèves de l’école royale des mines qui auront été jugés capables par le comité d’instruction de cette école pourront être envoyés à Saint-Étienne pour seconder les professeurs de l’école des Mineurs pour continuer eux-mêmes leur instruction en visitant les Mines et les usines de l’arrondissement et pourront acquérir les connaissances qui leur sont nécessaires sur la marche et les formalités des affaires administratives, seront sous les ordres de l’ingénieur en chef de l’arrondissement. »
Le choix de Saint-Étienne
Louis Antoine Beaunier convient qu’il serait plus logique que cette école existe si l’État lui-même gérait des mines et usines. Cela n’étant pas le cas en France, cette école se retrouverait en situation de former des ingénieurs pour l’industrie privée. Pour Beaunier, la localisation de cette école pratique ne fait aucun doute, elle doit être installée à Saint-Étienne, dont il dirige la circonscription minéralogique. La ville forme avec Saint-Chamond et Rive-de-Gier, un bassin d’activité de 25 000 hectares employant 1 500 ouvriers dans 73 mines de houille. Beaunier s’appuie sur l’exploitation du plomb à Saint-Julien-Molin-Molette dans le Pilat et son traitement à Vienne (Isère) ainsi que du cuivre dans le Rhône. Pour le fer, Saint-Étienne est une ville abritant de très nombreuses artisans et ouvriers sachant le transformer, dans des ateliers comme à la manufacture royale d’armes. Il mentionne l’intérêt géologique des terrains volcaniques de l’Auvergne et de plusieurs formations secondaires et tertiaires dans l’environnement proche.
Le 12e arrondissement minéralogique dont Saint-Étienne est le chef-lieu se compose des départements de la Loire, de la Haute-Loire, du Cantal, et du Puy-de-Dôme, et son service exige un ingénieur en chef, trois ingénieurs ordinaires et un aspirant. Beaunier propose d’utiliser ce même personnel, s’il est choisi, ayant des compétences en rapport avec les matières enseignées, en y ajoutant un second aspirant, pour que le service ordinaire n’en souffre pas.
Il propose l’organigramme suivant : l’ingénieur en chef de l’arrondissement qui serait directeur ; un aspirant professeur de mathématiques élémentaires, de géométrie souterraine mise en pratique ; un ingénieur ordinaire professeur d’exploitation dont le cours serait accompagné de fréquentes courses souterraines et levé de machines employées dans les mines ; un ingénieur ordinaire, professeur de chimie élémentaire et pratique appliquée à l’art d’essayer et de traiter les substances minérales ; un ingénieur ordinaire, professeur de minéralogie industrielle et de géologie eu égard principalement à la connaissance du gisement de minéraux utiles ; et un aspirant professeur de dessin.
Les conclusions du mémoire de Beaunier
Pour découvrir la volonté de Beaunier, voici la retranscription de ses conclusions (en bleu) ainsi qu’une comparaison, point par point, avec la vision du Conseil général des Mines (en rouge).
La première conclusion : « Il sera créé dans cette ville de Saint-Étienne (département de la Loire) une école des Mines tant pour l’instruction pratique des élèves ingénieurs sortis de l’école des Mines de Paris, que pour l’instruction des directeurs et maitres ouvriers des mines et usines de France. » La première conclusion du Conseil général des Mines est très différente. Outre la symbolique du nom, il est clair que le Conseil a de moindres objectifs que Beaunier et quand l’un parle d’instruction pratique, l’autre se limite à des notions élémentaires : « Il sera établi à Saint-Étienne une école de Mineurs destinée à l’enseignement élémentaire des notions qui sont indispensables pour la conduite des travaux des Mines. »
Le 2e article dit que « Cette école établie provisoirement dans un local loué sur le long terme sera mise en possession des livres, instruments de mathématiques, de physique ou de chimie, cartes, minéraux, etc. et en général de tout le mobilier qui a été retiré tant de l’école pratique du mont Blanc que de l’école de Geislautern. » Le Conseil nuance : « L’École des Mineurs sera établie provisoirement dans une maison prise à location à Saint-Étienne et elle sera mise en possession des livres, instruments, cartes, minéraux, etc. et en général du mobilier qui a été retiré tant de l’école de Pesey que celle de Geislautern à l’exception des objets qu’il serait reconnu plus utile de réserver pour l’École royale. » Ce cinquième article préserve l’institution parisienne. Pourtant, l’attente de Beaunier semble légitime, puisque les écoles de du Mont-Blanc et de Geislautern étaient deux écoles d’application des Mines, successivement perdues en 1814 et 1815 après les modifications des frontières. Dans les faits, l’école stéphanoise se plaint fréquemment et longtemps de ne pas recevoir ce qui lui avait été promis, l’obligeant à acheter ce qui lui était indispensable.
Le 3e point précise, à propos de l’École : « Elle sera dirigée par l’ingénieur en chef de l’arrondissement dont Saint-Étienne est le chef-lieu et ses professeurs seront pris parmi les membres du corps des mines attachés au même arrondissement lesquels seront en conséquence sans exception tenus de résider à Saint-Étienne. » Ce qui est confirmé par la 2e proposition du Conseil : « Elle sera dirigée par l’ingénieur en chef de l’arrondissement minéralogique dont Saint-Étienne est le chef-lieu. »
Le 3e point comprend également : « Trois ingénieurs et aspirants au corps royal des mines attachés au service de l’arrondissement de Saint-Étienne et résidants dans cette ville seront chargés de donner des leçons appropriées au but de l’institution et suivant le programme qui sera proposé chaque année par le conseil général des mines. » Cela ne laisse pas apparaitre de désaccord, mais malgré cela, Beaunier n’obtient pas le nombre de professeurs souhaité, et cela permet de repousser l’épineuse question du contenu des programmes, qui est pourtant un point crucial. Beaunier avait lui déjà fixé les matières : « L’enseignement se composera d’un cours de mathématiques élémentaires et de géométrie souterraine mise en pratique, d’un cours d’exploitation accompagné de courses souterraines fréquentes et du levé des principales machines employées dans les mines, d’un cours de chimie élémentaire et pratique appliquée à l’art d’essayer et de traiter les substances minérales, un cours de minéralogie industrielle et de géologie eu égard principalement à la connaissance du gisement de minéraux utiles et d’un cours de dessin. » Ces matières sont celles qui sont enseignées à l’école, mais officiellement le niveau n’est pas celui attendu par Beaunier.
Sa 5e proposition concerne le financement de l’école : « Les fonds retirés du roulement des usines affectées à l’École de Geislautern seront exclusivement appliqués aux dépenses de l’école pratique des mines de Saint-Étienne. » Beaunier était directeur de l’école située dans la Sarre. Devant l’invasion, il fuit en France avec les caisses afin de protéger l’argent. C’est sur ce pécule qu’il propose de financer la nouvelle école, n’occasionnant donc aucune nouvelle dépense. Le projet de Beaunier est même de développer une usine ou d’exploiter une mine, dont les bénéfices financeraient intégralement la nouvelle école. Ce système n’a pas vu pas le jour. L’idée séduit le Conseil même s’il en restreint la portée : « Les fonds retirés du roulement des usines, affectés à l’école de Geislautern seront affectées aux dépenses de l’école des mines de Saint-Étienne jusqu’à concurrence de 50 mille francs pour subvenir au service de 3 à 4 années » (7e point).
La proposition suivante est intégralement reprise par le 8e point du Conseil : « Il sera, dès à présent, prélevé sur ces fonds une somme de neuf mille francs pour subvenir aux frais des premiers établissements détaillés dans le cours de ce mémoire. » La 7e conclusion, « la dépense annuelle de l’école est provisoirement fixée à une somme de onze mille francs distribuée de la manière également indiquée dans ce mémoire. » est à peu près reprises au point 9 par le Conseil général des Mines : « La dépense annuelle de l’École sera provisoirement fixée à 11 mille francs d’après les bases posées dans le mémoire de M. l’ingénieur en chef Beaunier sauf la réduction du nombre de professeurs. Sur les 1600 fr d’économie produite par cette réduction 600 fr seront affectés aux dépenses diverses ou imprévues. » Le Conseil instaure dans un dixième article : « Une somme de 1000 fr par an sera destinée à être distribuée en prix aux élèves de l’école des Mineurs à raison de 3 prix par classe et suivant le mode qui sera prescrit par le règlement. »
Beaunier décrit dans un 8e point les bases du fonctionnement de cette école qu’il appelle de ses vœux : « L’État fournira gratis l’instruction aux élèves étrangers au corps de mines qui se présenteront à l’école, pourvus des connaissances préliminaires et nécessaires pour en suivre les exercices et avec la volonté d’en adopter la discipline. » Le Conseil des Mines précise dans sa 6e proposition : « L’instruction de l’École des mineurs sera gratuite. Les élèves seront inscrits et soumis au règlement qui interviendra sur la tenue et la discipline de l’École. Les élèves ne pourront être inscrits avant l’âge de 15 ans accomplis ni après 25 ans. Ils devront pour obtenir l’inscription faire preuve de bonne conduite, de capacité et d’instruction telle qu’elle s’acquiert dans les écoles primaires. »
Le 9e point concerne la gouvernance de l’École. « Tous les objets généraux de services comme la division, les époques des cours, la discipline des élèves, la comptabilité annuelle, etc. seront délibérés conformément à ce que prescrit à cet égard le décret du 18 septembre 1810, dans un conseil d’administration composé du directeur de l’école (président) et des professeurs. » On s’aperçoit que le Conseil général des Mines limite de façon importante l’autonomie du futur établissement dans sa 11e et ultime remarque. « Tous les objets généraux de service comme la division, les époques et les programmes des cours, la discipline des élèves, la comptabilité, etc. seront délibérés dans un Conseil d’administration composé du directeur de l’école, président, et des professeurs en cas de division, celle du président sera prépondérante. Toutes les délibérations qui seront relatives à l’enseignement devront être soumises à l’examen du Conseil général des Mines. »
Pour terminer Beaunier écrit : « Il entrera dans les devoirs du directeur de l’école de faire acquérir aux élèves ingénieurs des notions suffisantes de la législation qui régit les mines et des formes administratives à observer dans l’instruction des affaires. »
Conclusion
Ces divergences soulignées dans la relecture du projet de Beaunier par le Conseil général des mines se poursuivront tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle, jusqu’à ce que l’Ecole de Mineurs devienne une Ecole des Mines (1882) et qu’un diplôme d’ingénieur civil des mines soit attribué aux élèves stéphanois (1906).
Brève rédigée par Rémi Revillon (historien) et Hervé Jacquemin (EMSE)