1816-2016 - Bicentenaire

Premier épisode : 1816 / 1835, les enfants du siècle

Du carbone au silicium

1815 – L’arrivée à Saint-Étienne de Monsieur Beaunier

— On dit que le sieur Beaunier est arrivé de Geis… Geislautern… enfin de la Sarre, annonça avec son fort accent stéphanois, Emile le charbonnier de la rue du Treuil (actuelles rues Braille et Salengro),

— C’est cela, par la dernière voiture il y a deux jours. Il était directeur de l’École des mines là-bas depuis 1813. Pas de chance pour lui, deux ans après, les prussiens nous ont pris le territoire !

Le père Pagat, le tenancier du cabaret de la rue Saint-Honoré (actuelle rue Honoré de Balzac), avait vu arriver l’avant-veille au soir Monsieur Beaunier. Il le connaissait déjà, car Louis-Antoine Beaunier avait cartographié le bassin houiller de la Loire dans les années 1812 et il s’était souvent rendu dans son établissement.

— C’est un homme du monde. Il a de la suite dans les idées et de l’ambition !

— Il parait que c’est un excellent chanteur, il pourrait animer ton cabaret, père Pagat » lui  répliqua sur le ton de la boutade Berthon, un paysan qui exploitait une mine de houille et qui comptait bien faire rentrer son fils dans cette nouvelle école dont on commençait déjà à parler.

Place Royale, cœur de la vie stéphanoise en 1816, actuelle place du Peuple © H. Jacquemin
Place Royale, cœur de la vie stéphanoise en 1816, actuelle place du Peuple © H. Jacquemin

Effectivement, il fallait avoir une sacrée persévérance dans ces périodes troublées. En 1814, Beaunier avait tout d’abord quitté la Sarre pour se réfugier à Metz lors de l’invasion de la sixième coalition. Après le Traité de Paris du 30 mai 1814 où la France conservait encore quelques régions acquises sous l’empire, il s’en était retourné sur les terres françaises de la Sarre, reprenant son poste de directeur et pensant accueillir l’École de Pesey Nancroix, secteur savoyard rendu au duc de Savoie. Mais les événements, le retour de Napoléon suivi des défaites bien connues, puis le Traité de Paris l’obligèrent à fermer l’École et à fuir fin novembre 1815, emportant matériels et ouvrages dans ses malles. Il traversa la France occupée jusqu’à Saint-Étienne mettant en lieu sûr la caisse et les divers fonds qui allaient lui permettre de lancer la future école stéphanoise. Le trajet en diligences tirées par six chevaux sous les ordres d’un conducteur et de deux postillons ne s’était pas fait sans mal. Les contrôles nombreux sur les routes, le dépassement d’unités de fantassins et cavaliers prussiens, autrichiens, français, ralentissaient la progression et inquiétaient les passagers qui fuyaient l’Est de la France. Issu d’une génération qui n’avait connu que l’insécurité des années de révolution, de terreur et de guerres impériales, Beaunier comptait sur la paix bientôt retrouvée qui serait sans nul doute constructive et florissante sous le règne des Bourbons. Louis XVIII s’était en effet installé de nouveau dès le 8 Juillet 1815 à son retour de Gand suite à l’abdication de Napoléon le 22 juin. Il avait rapidement révoqué nombre de fonctionnaires nommés par Napoléon durant les cent jours et engagé une forte épuration. L’Administration des Mines se retrouvait regroupée avec celle des Ponts-et-Chaussée sous la direction générale du comte Mathieu Molé.

La rencontre avec Monsieur le Maire

En ce mois de mars 1816, l’hiver avait repris vigueur et la neige recouvrait depuis quelques jours les rues de cette petite ville de 25 000 habitants. Les fumées provenant des forges, des teintureries et des fourneaux des bains et buanderies s’épaississaient au-dessus des toits. Les tombereaux descendaient des rues adjacentes à la rue d’Artois (actuelle rue du Général Foy et du Président Wilson) livrant le précieux combustible noir et poussiéreux.

3 Rue de la Ville
Rue de la Ville, quartier ancien de Saint-Etienne © H. Jacquemin

— Monsieur l’ingénieur en chef de l’arrondissement de Saint-Étienne » annonça le secrétaire de mairie.  Monsieur Antoine Pascal, maire de Saint-Étienne nommé par le roi, recevait, ce matin-là, Monsieur Beaunier dans le bâtiment communal, un immeuble vétuste situé à l’angle de la rue d’Angoulême et de la place Monsieur (actuellement angle de la rue Michel Rondet et place de l’Hôtel de Ville) qui faisait office de mairie depuis 1804.

— Il n’y a plus actuellement d’École des mines en France alliant théorie et application, il est important d’en créer une nouvelle, Monsieur le Maire.

— Je vous rejoins tout à fait. La mine manque de maîtres-mineurs pour diriger tous ces ouvriers qui commencent à arriver de la campagne… du Forez et même de l’Yssingelais.

— Mais c’est que j’ai la volonté d’en faire une école de directeurs, voire d’ingénieurs, et non de subalternes, Monsieur le Maire, au même titre que celle de Paris qui, comme vous le savez, a ré-ouvert le 11 janvier dernier ! J’ai présenté ce projet à Paris sur demande du Conseil général des Mines le 26 janvier et celui-ci vient de rendre un avis favorable en ce 7 mars. Une école solidement implantée dans son territoire, Monsieur le Maire, sur votre territoire. Une opportunité pour la ville !

Beaunier répéta ce qu’il avait martelé à Paris, l’importance d’une unité de vues sur les méthodes utilisées dans chacune des concessions minières autant pour l’abattage que pour la circulation de l’air ou l’exploitation des substances minérales. A l’époque, les directeurs locaux des petites mines étaient plus souvent des maîtres-mineurs que des gestionnaires et ne se préoccupaient que de leur exploitation. Il rappela au maire que sur 236 mines de houille en France, 85 se trouvaient dans l’arrondissement de Saint-Étienne. Un argument décisif à Paris, un argument qui fit plaisir au premier édile stéphanois qui souriait de contentement.

— De plus, je compte développer prochainement à La Bérardière une aciérie dont les bénéfices financeront l’École ! Et pourquoi ne pas définir une réserve de charbon pour l’École qui apporterait quelques subsides… sur Méons ou Villars par exemple ? — conclut Beaunier.

Beaunier se montrait préoccupé par le développement industriel et donc économique de Saint-Étienne et des vallées du Gier et de l’Ondaine du côté de Firminy. Il connaissait aussi bien ce territoire et son charbon que les mines métalliques des Monts du Lyonnais à Chessy, du Pilat à Saint-Julien-Molin-Molette, et bien entendu le minerai de fer de Terrenoire et des quartiers du Soleil et du Cros à Saint-Étienne découvert deux ans auparavant par Louis de Gallois, un homme des techniques dont Beaunier comptait en faire un de ses professeurs. Tout cela renforçait l’intérêt de la région. Certes il n’y avait pas encore de vraies usines, mais le grand nombre d’ateliers de fonderies, de manufactures d’armes offraient de belles opportunités pour un fort développement industriel.

Site de Saint-Priest-en-Jarez et vue sur les Monts du Lyonnais © H. Jacquemin
Site de Saint-Priest-en-Jarez et vue sur les Monts du Lyonnais © H. Jacquemin
Vue sur le sud de Saint-Etienne et le massif du Pilat, vue de la rue Emile Deschanelle © H. Jacquemin
Vue sur le sud de Saint-Etienne et le massif du Pilat, vue de la rue Emile Deschanelle © H. Jacquemin

L’École dans ses locaux

Dès le 3 août 1816, l’ordonnance royale de la veille créant l’École des Mineurs de Saint-Étienne était placardée à la préfecture de Montbrison puis à la sous-préfecture de Saint-Étienne. Le 19 août était connue dans la ville la nomination de Beaunier comme directeur de cette école par décision du directeur général des Mines, le comte Molé. Le gouvernement de Louis XVIII avait entendu les arguments de Beaunier.

Alors celui-ci se mit en chasse d’un local suffisamment vaste pour son École des Mineurs. Le père Pagat lui avait été d’un bon secours en l’orientant vers la route de Rhône à Roanne (actuelle rue du Général de Gaulle) à deux pas de son établissement. Le centre politique de Saint-Étienne se déplaçait, délaissant la place Royale (actuelle place du Peuple) et les berges immédiates du Furens. L’hôtel de ville allait être construit dès 1822 sur la place Monsieur (actuelle place de l’Hôtel de Ville).

La maison retenue, en fin de construction, était située « dans un faubourg un peu isolé quoique bien percé et d’un aspect agréable » sur la commune de Montaud. Beaunier s’y rendait quotidiennement voyant cette maison de trois étages s’élever. Il avait clairement dans la tête la disposition des salles de cours, du laboratoire, avec les collections au rez-de–chaussée et au premier étage. Au-dessus on accueillerait la commission des mines de la Loire et on aménagerait de petits logements pour le directeur, les professeurs et les visiteurs de passage.

— Monsieur Desroches, je signe demain la convention de location avec l’entrepreneur Boggio Caséro pour cette maison qui sera bientôt trop petite…

— Voyons Monsieur Beaunier, l’ordonnance royale date du 2 août, vous signez le 21 octobre, l’affaire est rondement menée ! Il sera bien temps d’agrandir quand cela sera nécessaire.

— En effet, mais j’ai tant d’ambitions pour cette école, pour cette ville ! D’ailleurs j’espère un jour que nous enseignerons également l’art du chemin de fer… grâce à vous !

Premier site de l’Ecole des Mineurs entre 1816 et 1850 : actuellement 3 et 5 rue du Général de Gaulle © H. Jacquemin
Premier site de l’Ecole des Mineurs entre 1816 et 1850 : actuellement 3 et 5 rue du Général de Gaulle © H. Jacquemin

Les premiers élèves de l’École des Mineurs

Beaunier envisageait le 15 avril 1817 comme date d’ouverture. Le projet prit quelques retards. Un Stéphanois, Benoît Fourneyron, fils d’un arpenteur de la place Chavanelle, fut le premier à intégrer l’École, avant l’âge de ses 15 ans, suivi de Paul Leferme, neveu d’un notaire parisien. Mais ce ne fut que le 9 février 1818 que l’École accueillit une véritable promotion, les treize premiers élèves de son histoire. 6 en sortirent brevetés de l’École des Mineurs, dont Benoît Fourneyron, classé second avec mention honorable. Félix Remmel, premier major de promotion de l’École, devint garde-mines, auxiliaire des ingénieurs du service des mines, à Marseille puis directeur des mines de Terrenoire.

Tandis que dans les étages, les ouvriers sciaient, rabotaient encore les bibliothèques, posaient les parquets, les élèves s’initiaient aux analyses par voies sèches et humides – avec ou sans dissolution – des minerais de fer au laboratoire ou s’évertuaient, dans la salle des collections, à retenir les noms et propriétés des minéraux au cours de l’une des 35 leçons de minéralogie de première année. Le midi, ils s’en allaient déjeuner chez le père Pagat qui faisait table d’hôte pour 35 francs par mois. « Encore du chevreau, père Pagat ! » lançait régulièrement un des élèves. Le menu ne variait guère, mais satisfaisait l’appétit de ces adolescents et jeunes adultes.

Buste de Jean-Baptiste Boussingault, inauguré le 14 juin 1913 © EMSE
Buste de Jean-Baptiste Boussingault, inauguré le 14 juin 1913 © EMSE


Dans son projet, Beaunier voulait cinq professeurs. Il ne put en recruter que trois, Louis de Gallois, Pierre-Michel Moisson-Desroche et Claude Burdin, qui travaillaient déjà au sein de l’arrondissement minéralogique de Saint-Étienne. Toute l’année 1817, Beaunier s’attacha à peaufiner le règlement de l’École qui précisait entre autres le nombre d’élèves – 12 pour commencer, 18 au bout de trois ans -. Il s’évertua également à récupérer les collections de l’École de Pesey – mais il n’allait recevoir que des échantillons ayant transité par l’École des mines de Paris et ayant subi un tri sévère – ainsi qu’une partie de la bibliothèque – des livres mais aucune carte géographique, aucun dessin, simplement des gravures, parce qu’elles étaient en double à Paris.

Beaunier se battait pour ses idées, mais le Conseil général des Mines ne démordait pas de la vision réductrice que cette École des Mineurs était destinée à former les cadres subalternes des exploitations, les maîtres mineurs. Ce sera en grande partie grâce à ses élèves que Beaunier fera évoluer l’École, ces enfants du siècle qui eurent vingt ans en 1820. Benoît Fourneyron participa deux ans après au projet de construction du chemin de fer Saint-Étienne – Andrézieux, puis poursuivit à 21 ans les études de Burdin sur la turbine qui portera son nom. Jean-Baptiste Boussingault, un parisien entré à 16 ans et major de la promotion 1818 sortie en juillet 1820, devint en deuxième année préparateur des cours de chimie au laboratoire. Il va se mettre au service de Simon Bolivar en Colombie en 1822 pour une dizaine d’années et sillonnera alors la république bolivarienne. Dans ces années, il suffisait d’avoir 15 ans pour entrer à l’École et un bon bagage de niveau primaire. Rapidement l’École accueillit, d’une part, les fils de directeurs d’exploitation qui avaient compris tout l’intérêt d’une telle formation et, d’autre part, des élèves atypiques, Boussingault en était la parfaite figure. Les élèves devenaient plus nombreux à vouloir venir dans cette école et le directeur général des Mines engageait Beaunier à accueillir jusqu’à 50 élèves. Alors en 1827, celui-ci loua une seconde maison contiguë à la première.

Du 15 octobre au 15 août, et ce durant deux années, les élèves suivaient les cours, parcouraient les mines et sortaient en groupes dans cette petite ville de province où l’on se couchait tôt. Le labeur pour les hommes, à la mine, au marché ou dans de petites forges et armureries, et pour les femmes, la lessive le long du Furens, le tissage et le quotidien d’un logis, ne portaient pas à trainer en soirée. Seuls la Sainte-Barbe du 4 décembre ou le carnaval permettaient de sortir, de partager la brioche ou de danser autour de feux de charbon. Les élèves assistaient aux pièces de théâtre données en ville, rue de la Comédie (actuelle rue Alsace-Lorraine) debout au parterre pour 60 centimes. Mais les élèves se trouvaient parfois dans des fins de soirée arrosées, confrontés aux piliers des cabarets voire à quelques mauvais garçons, au coin des rues sombres du quartier Saint-Jacques (actuellement rue des Martyrs de Vingré). Pour ne pas être confondus avec ces galapiats (petits voyous en parler stéphanois, le gaga), les élèves réclamèrent, dès 1824, de rendre obligatoire le port de l’uniforme qui permettrait ainsi de les disculper.

Maisons anciennes, rue Denis Escoffier, Saint-Etienne © H. Jacquemin
Maisons anciennes, rue Denis Escoffier, Saint-Etienne © H. Jacquemin

La révolution industrielle en marche

Dès le matin, la foule se pressait dans les rues. Ce 18 juin 1827, tout Saint-Étienne était là pour assister au départ du premier chemin de fer hippomobile qui s’en allait porter le charbon des mines au port d’Andrézieux.

— C’est aujourd’hui le grand jour, Monsieur de Gallois, Monsieur Moisson Desroches ! Nous pouvons être fiers de nous et du travail accompli. Levons notre verre au chemin de fer !

Beaunier venait de mettre une dernière main à son discours qu’il lirait au lancement officiel du premier convoi qui partirait au Pont-de-l’Ane à la sortie Est de Saint-Étienne. Tous trois avaient été les moteurs de ce projet ramené de Grande-Bretagne par de Gallois, et Beaunier avait, dès 1822, demandé la concession de la ligne le long de la Loire, « Et surtout ne pas oublier Fourneyron… » reprit Beaunier, « Ni Achille Thirion de la promotion 1823, ni Louis Gillet de la 24 ! » renchérit Moisson-Desroche en se souvenant avec fierté de ses élèves qui avaient contribué aux essais sur modèle réduit à deux pas de l’école, au 7 rue d’Artois.

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Site actuel de la SNCF au Pont de l’Ane, lieu de départ du premier chemin de fer en 1827 © H. Jacquemin

Beaunier voyait sous ses yeux s’édifier ce projet global qu’il avait mûri en lui, la formation, l’industrialisation réfléchie, le développement de ce territoire. Il lui faudrait encore batailler, mais cette école lui semblait solide sur ces bases. Elle devrait bien passer le siècle!

L’École arrivait à Saint-Étienne avec les nouveautés technologiques de ce début de la révolution industrielle, tel un appareil d’éclairage à la houille rapporté d’Angleterre par de Gallois qui fit grand bruit dans la ville. En 1830, la région s’industrialisait de plus en plus, de nouvelles mines étaient percées, l’armurerie prenait de l’ampleur, le premier chemin de fer de l’Europe continentale, convoyait le charbon puis des passagers jusqu’à la Loire et bientôt vers Lyon en 1833. Par les visites et les formations sur le terrain, l’École des Mineurs se faisait de plus en plus présente sur le territoire et les directeurs étaient progressivement et à large majorité, issus de ses rangs. A Paris, les idées et les résultats de Beaunier étaient connus, reconnus. Il devint ainsi Inspecteur général des Mines de première classe en 1832.

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Le bassin de Janon, ancien site des forges de Terrenoire © H. Jacquemin

Les enfants du siècle

Beaunier avait prévenu ses élèves. « Messieurs, demain, Monsieur le Ministre de Serres viendra nous rendre visite et logera à l’École. C’est un ami de longue date et je compte sur vous pour représenter dignement notre École. »

Au cabaret, Machecourt commença à déclarer que ce Monsieur de Serres était opposé à la charte, ce compromis qui reconnaissait les acquis de la révolution et de l’empire tout en rétablissant les « Bourbons ».

« Tout à fait, martela Nobis, c’est un royaliste de l’arrière garde ! »

Les verres de Rivage, un Côte-du-Rhône vendu dix sous la bouteille, échauffaient les esprits. Un plan s’échafauda. Les élèves qui à l’époque se revendiquaient libéraux et anticléricaux, décidèrent de lui montrer à ce de Serres ce que la jeunesse pensait. De bon matin, alors que le portier balayait le trottoir, et avant que ne descende Monsieur le Ministre, deux élèves se faufilèrent et écrivirent sur les murs de l’escalier intérieur de l’École, « Vive la charte ! ». Beaunier piqua la première colère connue d’un directeur de l’École stéphanoise.

— Regarde, Lelu, ce que j’ai ramené de Paris. »

Boussingault sortit de sa besace un opuscule, un succès dont on parlait en cette année 1820.

— 24 textes écrits par Lamartine, un poète… Ecoute cela.

J’ai cherché vainement le mot de l’univers.

J’ai demandé sa cause à toute la nature,

J’ai demandé sa fin à toute créature ;

Dans l’abîme sans fond mon regard a plongé ;

De l’atome au soleil, j’ai tout interrogé ;

J’ai devancé les temps, j’ai remonté les âges. 

— Plutôt mélancolique ton Lamartine, lui rétorqua Lelu.

— Mais c’est à nous, futurs ingénieurs, de percer les mystères de la nature. J’ai hâte de découvrir tout cela ! Ah, tu ne comprends rien. Tu es bien comme tous ces autres ignares !

Site de Terrenoire © H. Jacquemin
Site de Terrenoire © H. Jacquemin

Les dernières années Beaunier

Le 7 mars 1831, sous le règne de Louis-Philippe, une nouvelle ordonnance se substitua à celle de 1816 reconnaissant implicitement l’École des Mineurs comme une école d’ingénieurs. A la suite de cette ordonnance apparurent de nouvelles matières : géométrie, leçons sur le chemin de fer. Depuis 1824, d’ailleurs, la chimie et la métallurgie prenaient de plus en plus de place face aux cours d’exploitation des mines, de géologie et de minéralogie. Le programme d’enseignement voulu par Beaunier s’avérait cohérent avec les besoins du développement industriel de la France.

De retour de Paris en ce printemps 1832, dans la diligence qui empruntait la route défoncée par l’activité industrielle sans cesse croissante de la vallée du Gier, Beaunier se remémorait cette histoire, son histoire. Dès la première remise des prix pour ses élèves brevetés, au cours de laquelle étaient remis aux meilleurs élèves, des instruments de levées de plans et des boites de chalumeaux, l’équivalent de 350 francs, le préfet de la Loire, M. le Vicomte de Nonneville, le jeune maire de Saint-Étienne Hippolyte Royer et son conseil municipal, des officiers, des fonctionnaires et les dames de la bonne société étaient venus. Ils étaient tous là ! Il repensa à la fille de ce riche négociant aux soieries, toute en beauté avec son chapeau à la Paméla et qui, quelques années après, fut la cause d’un duel entre un jeune médecin et un élève de l’École. Il faut dire que les événements étaient bien rares en ces années 1820 et l’arrivée de l’École ouvrait de nouveaux horizons à la bourgeoisie locale.

Après 16 ans de labeur, Beaunier savait qu’il avait eu raison de persévérer. Mais la reconnaissance de son travail le contraignait à séjourner de plus en plus souvent à Paris. Alors en 1832, il fit nommer Antoine Delsériès, directeur adjoint.

Le 20 août 1835, Beaunier mourut dans sa 57ème année de maladie arthritique. Delsériès assura l’intérim de la direction en attendant l’arrivée de Roussel-Galle qui avait été nommé par décision du 30 novembre 1835.

Rue Beaunier dans le quartier du Soleil, Saint-Etienne © H. Jacquemin
Rue Beaunier dans le quartier du Soleil, Saint-Etienne © H. Jacquemin

« Le travail de Beaunier, notre travail va-t-il pouvoir se poursuivre ? Il va encore falloir discuter avec le ministère. Mais nous avons des arguments. Nous commençons à avoir de bons anciens élèves qui dirigent nos mines. » pensait Louis Gruner, nouveau professeur de métallurgie en relisant la notice nécrologique de la gazette ce matin-là. Il replia Le Stéphanois et quitta le cabaret du père Pagat, inquiet. Un directeur qui ne semble pas vouloir venir, un intérim qui risque de s’éterniser, ce n’était pas de bon augure…

À suivre…

Hervé Jacquemin

Avec les contributions de Michel Cournil et Rémi Revillon

École des MINES de Saint-Étienne

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